Vie et destin


Vassili Grossman

L'Age d'Homme, 824 pages

1980



Titre en russe:  Жизнь и судьба (zizn' i sud'ba)


Vie et destin peut être considéré comme l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature du vingtième siècle. Ce roman, en fait la seconde partie de Pour une juste cause, se déroule pendant la bataille de Stalingrad, de septembre 1942 au printemps 1943.

Vie et destin est une grande fresque composée de multiples tableaux dans lesquels évoluent un grand nombre de personnages et le lecteur peut s'y perdre. C'est pourquoi une page spéciale est consacrée à cette oeuvre magistrale dans ce blog pour présenter le contexte historique et la liste quasi complète des principaux personnages. Pour ce qui est de l'analyse, Vie et destin développe plusieurs grands thèmes.


Un grand roman de guerre


Il s'agit tout d'abord d'un roman de guerre et d'aventure qui raconte et reconstitue la bataille de Stalingrad. Une bataille de rues, dans une ville détruite par les bombardements. Voilà plus d'un an que l'Armée rouge recule devant l'avancée des troupes allemandes qui progressent à travers les grandes plaines jusqu'aux rives du Don et de la Volga. De la ville de Stalingrad, il ne reste plus, aux mains des soviétiques, qu'une mince bande sur la rive occidentale de la Volga. L'ordre de Staline est sans appel: "Pas un pas en arrière". Les deux armées s'engagent dans une lutte totale, militaire et symbolique. Les bombardements de l'artillerie, les raids de l'aviation, les offensives et les controffensives se succèdent, tout est déluge de feu et de fer tandis que l'hiver s'installe.

Vassili Grossman fait évoluer de façon saisissante une partie de ses personnages dans les décombres qui sont entrés dans l'Histoire, l'usine Octobre rouge, l'usine Djerzinski, le Mamaev Kourgan, la maison Pavlov (la "Maison 6bis" dans le roman). Il met en scène quelques uns des personnages qui ont réellement existé, Staline, mais aussi les principaux généraux de la bataille (Eremenko, Tchouïkov, Gouriev, Rodimtsev ou Batiouk), jusqu'aux snipers dont le très célèbre Vassili Zaïtsev (qui a inspiré Jean-Jacques Annaud pour son film Stalingrad, Enemy at the Gates). On notera avec intérêt le fonctionnement bicéphale des unités soviétiques qui, à chaque échelon, double le chef militaire d'un commissaire politique.

Une critique implacable du stalinisme


Mais Vie et destin n'est pas que cela. Outre le développement de nombreuses conversations sur la littérature, la science, le nationalisme, la religion, ce roman porte en lui une critique puissante, fondamentale et radicale du stalinisme. D'ailleurs, cela explique l'histoire mouvementée du manuscrit, déposé en 1960 sur le bureau du rédacteur en chef de la revue Znamia qui s'empresse, après l'avoir lu, de le transmettre au KGB. Vassili Grossman, écrivain réputé et reconnu, ne sera pas inquiété mais le roman sera mis à la trappe  en 1961 jusqu'à l'orée des années 80, après sa mort.

Vie et Destin est une somme de destinées individuelles dont une partie sont broyées par l'appareil d'état soviétique. Grossman décrit le culte de la personnalité autour de Staline, la puissance du parti, l'omniscience et l'omnipotence de l'état totalitaire sur l'individu qu'un seul mot, qu'une phrase, dénoncée, peut faire disparaître à jamais dans l'univers concentrationnaire soviétique.

Grossman rend aussi hommage aux koulaks, aux paysans morts de faim dans les grandes famines des années 30 ainsi qu'aux premiers révolutionnaires, cette première génération qui connut les geôles tsaristes, remplacée à la faveur des purges de 1937. Cette omnipotence du parti et de l'état déploie ses tentacules implacables jusque dans l'appréhension des travaux en laboratoire du physicien Strum, dont la carrière semble basculer parce qu'il a pris la liberté de vouloir reconsidérer la théorie officielle à la lumière des résultats d'expériences nouvelles.

Antisémitisme d'état, soviétique et nazi


C'est dans un goulag qu'un révolutionnaire de la première heure, Magar, prisonnier et mourant, reconnaît s'être trompé et affirme que toute l'entreprise soviétique a consisté à tuer la liberté. Et c'est dans un camp allemand que le parallèle est fait entre le nazisme et le communisme soviétique.
C'est en effet l'une des scènes majeures de Vie et destin: la conversation entre le vieux bolchévique Mostovskoï, prisonnier et le nazi Liss, commandant du camp allemand. Ce dernier dresse un parallèle entre le fonctionnement du parti communiste soviétique et celui du parti nazi.

D'ailleurs, Vassili Grossman décrit, autour de la famille du physicien Strum, la montée d'un antisémitisme d'état au sein de l'appareil soviétique.

Mais les pages les plus fortes et les plus poignantes sont celles qui abordent la Solution finale mise en oeuvre par les nazis dans les territoires conquis. Il en est ainsi de la lettre d'adieu reçue par Strum et écrite par sa mère prisonnière du ghetto de Berditchev. Plus loin, Grossman, en décrivant les destins du médecin militaire Sofia Levinton et du petit David, pousse la littérature et lecteur jusque dans la chambre à gaz.

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