La mort est mon métier


Robert Merle

Gallimard, 435 pages

1952






Voici la biographie romancée de Rudolf Höss (Rudolf Lang dans le roman de Robert Merle), qui dirigea le camp nazi d'Auschwitz Birkenau. A l'image du personnage, ce texte est froid et dépourvu de sentiment. Il est vrai qu'il retrace la vie d'un bourreau, l'un des rouages essentiels de l'abomination, qui grimpa tous les échelons de la SS jusqu'au grade d'Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) et qui lors de son procès, se présenta comme le simple exécutant d'ordres venus de supérieurs. (...)


Pour écrire ce roman, Robert Merle s'est inspiré des entretiens que Rudolf Höss a accordé au psychologue américain Gustave Gilbert pendant le procès de Nuremberg au cours duquel il a comparu comme témoin. Son procès a eu lieu en Pologne en 1947. Il a été condamné à mort et exécuté dans l'enceinte du camp d'Auschwitz.
La mort est mon métier se décompose donc en deux parties, la première est une reconstitution de l'enfance, l'adolescence et l'entrée dans la vie adulte de Rudolf Lang/Höss, né avec le siècle et qui grandit sous la domination d'un père d'une extrême sévérité. Il s'engage à 16 ans, combat en Syrie puis rejoint les Corps francs. Victime du chômage dans une Allemagne en crise, il adhère au parti nazi en 1922 C'est une tranche d'histoire de l'Allemagne que raconte là Robert Merle et c'est un caractère psychorigide qu'il décrit.

"Ah! C'est donc ça! cria-t-il. A l'atelier de peinture, ils râlaient tous que le vieux Karl leur envoyait trop d'armoires. Et ce n'était pas le vieux Karl, c'était toi! C'était le petit Rudolf!"
Il remit sa chemise, mais sans la rentrer dans son pantalon, et s'assit:
Et toi, maintenant, tu vas faire ce que le vieux Karl t'a dit, bien sûr.
- Il n'en est pas question.
Il me regarda, et la ligne noire de ses sourcils s'abaissa sur ses yeux.
Et pourquoi il n'en est pas question?
- On me paie pour faire ce travail, et moi c'est mon devoir de le faire bien.
- Ouais! dit Schrader, tu le fais bien, mais on te paie mal! Est-ce que tu te rends compte qu'à cause de toi, ils vont vider le vieux Karl?
Il tapota la table du bout des doigts et reprit:
Et évidemment, le vieux Karl ne peut pas aller dire au Meister: "Écoutez voir, avec le gars qui était là avant Rudolf, on a truqué pendant cinq ans, et c'est comme ça que ça a marché!
Il me regarda et comme je ne disais rien, il reprit:
Il est salement coincé, le vieux Karl! Si tu ne l'aides pas, il va y passer.
-Je n'y peux rien.
Il frotta son nez cassé du dos de sa main.
Et s'il y passe, les camarades, à l'usine, ils ne t'auront pas à la bonne.
- Je n'y peux rien.
- Mais si tu y peux!
Il y eut un silence et je dis:
Je fais mon devoir. (p 147-148).


L'ascension de Rudolph Lang/Höss dans l'appareil du parti jusqu'à sa nomination à la direction du camp d'Auschwitz est un récit, sur la base d'un travail d'historien revendiqué comme tel par Robert Merle, de la mise en oeuvre de la Solution finale, du tâtonnement dans la recherche de la meilleure façon d'atteindre les objectifs jusqu'au fonctionnement à plein régime des chambres à gaz, du Zyklon B et des fours crématoires. Robert Merle s'est fondé sur les documents découverts après la libération du camp.
Rudolf Höss vivait avec sa femme et ses enfants à proximité du camp.



"Mes jambes se mirent à trembler sous moi et je criai:
tu n'as pas le droit de me traiter ainsi! Tout ce que je fais dans le camp, je le fais par ordre! Je n'en suis pas responsable!
- C'est toi qui le fais!
Je la regardai désespéré:
Tu ne comprends pas, Elsie. Je ne suis qu'un rouage, rien de plus. Dans l'armée, quand un chef donne un ordre, c'est lui qui est responsable, lui seul.  Si l'ordre est mauvais, c'est le chef qu'on punit, jamais l'exécutant.
- Ainsi, dit-elle avec une lenteur écrasante, voilà la raison qui t'a fait obéir: tu savais que si les choses tournaient mal, tu ne serais pas puni.
Je criai:
Mais je n'ai jamais pensé cela! C'est seulement que je ne peux pas désobéir à un ordre. Comprends donc! Ça m'est physiquement impossible!
- Alors, dit-elle avec un calme effrayant, si on te donnait l'ordre de fusiller le petit Franz, tu le ferais!
Je la fixai, stupéfait.
Mais c'est de la folie! Jamais on ne me donnera un ordre pareil!
- Et pourquoi pas? dit-elle avec un rire sauvage. On t'a bien donné l'ordre de tuer des petits enfants juifs! Pourquoi pas Franz?
Mais voyons, jamais le Reichführer ne me donnerait un ordre pareil! Jamais! C'est...
J'allais dire "C'est impensable" et tout à coup, les mots se bloquèrent dans ma gorge. Je me rappelai avec terreur que le Reichsführer avait donné l'ordre de fusiller son propre neveu." (pages 405-406)



Fait prisonnier, Rudolf Lang/Höss surprend les enquêteurs américains par son impitoyable zèle à exécuter les ordres et son absence d'humanité. Il constitue l'archétype du chaînon qui répercute les ordres et qui tente de s'affranchir de toute responsabilité morale en se réfugiant derrière la hiérarchie.


"Comment expliquez-vous que vous ayez pu en arriver là?
Je réfléchis et je dis:
On m'a choisi pour mes talents d'organisateur.
Il me fixa, ses yeux étaient bleus comme ceux d'une poupée, il secoua la tête et il dit:
Vous n'avez pas compris ma question.
Il reprit au bout d'un moment:
Êtes-vous toujours aussi convaincu qu'il était nécessaire d'exterminer les juifs?
-Non, je n'en suis plus si convaincu.
- Pourquoi?
- Parce que Himmler s'est suicidé.
Il me regarda d'un air étonné et je repris:
Cela prouve qu'il n'était pas un vrai chef, et s'il n'était pas un vrai chef, il a pu très bien me mentir en me présentant l'extermination des juifs comme nécessaire.
Il reprit:
Par conséquent, si c'était à refaire, vous ne le referiez pas?
Je dis vivement:
Je le referais, si on m'en donnait l'ordre.
Il me regarda une pleine seconde, son teint rose rougit violemment, et il dit d'un air indigné:
Vous agiriez contre votre conscience!
Je me mis au garde-à-vous, je regardai droit devant moi et je dis:
Excusez-moi, je crois que vous ne comprenez pas mon point de vue. Je n'ai pas à m'occuper de ce que je pense. Mon devoir est d'obéir". (pages 426-427)


Rudolf Höss apparaît également dans le roman de Jonathan Littell Les Bienveillantes.



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