La question, Henri Alleg

Henri Alleg

Éditions de minuit, 93 pages

1958



Court texte à portée incalculable, La Question est le récit d'un mois de captivité et de torture en pleine bataille d'Alger en 1957. Son auteur, le journaliste Henri Alleg (1921-2013) y raconte les sévices et les tortures qu'il subit dans la prison El-Biar, de la part des parachutistes de la 10e DP (Division parachutiste), à qui le pouvoir politique a confié les pleins pouvoirs pour affronter le FNL.

C'est la guerre d'Algérie et la bataille d'Alger fait rage, entre attentats et rafles, répression, censure, exécution sommaires et tortures. La bataille sera gagnée par les militaires, qui sortiront le FLN de la ville, mais perdue par la civilisation et la démocratie du fait des moyens employés par les soldats.

Torture à l'électricité

Henri Alleg, directeur du journal Alger Républicain interdit en 1955 est militant de parti communiste algérien. Il entre dans la clandestinité pour échapper à la mesure d'internement qui menace chaque collaborateur du quotidien réputé pour ouvrir ses colonnes à toutes les opinions, y compris celles qui dénoncent le système colonial. Il est arrêté en novembre 1956 dans le logement de son ami Maurice Audin, arrêté la veille et où les militaires ont mis en place une souricière. Maurice Audin, jeune mathématicien a disparu, il n'est jamais réapparu comme de nombreux autres; probablement lors de ce qui était appelé "les corvées de bois".

Henri Alleg (1921-2013)

Pour faire parler Henri Alleg, les soldats qu'il nomme par leurs noms dans son récit, le torturent à l'électricité, le battent, le brûlent. Il est ensuite transféré dans un camp d'où il fait parvenir en France une copie de sa plainte au procureur d'Alger. Une campagne de mobilisation va parvenir à le faire libérer. La parution de La Question en 1958 sera plusieurs fois interdite et mobilisera de nombreux intellectuels.

Révélations et prise de conscience


Ce récit bref et violent comme une décharge d'électricité sur la langue, pose la question des moyens utilisés et des limites qui s'imposent pour parvenir à un résultat, en l'occurrence guerrier. Il met en lumière les pratiques, tortures et exécutions sommaires, mises en oeuvre par les paras de la 10e DP. Des pratiques révélées au grand public, reconnues et défendues par certains des officiers de l'époque au prétexte qu'ils luttaient contre des actes terroristes. Ce court texte fait comprendre à tout à chacun que cela est fait en son nom et au nom de la puissance coloniale; que cette guerre (qui n'est pas appelée ainsi en ce temps là), est une sale guerre. Ces pratiques saliront longtemps l'image de la France et de son armée.

"Il y a maintenant plus de trois mois que j'ai été arrêté. J'ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleurs et tant d'humiliations que je n'oserais plus parler encore de ces journées et de ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire connaître la vérité c'est aussi une manière d'aider au cessez-le-feu et à la paix. Des nuits entières, durant un mois, j'ai entendu hurler des hommes que l'on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire. J'ai vu des prisonniers jetés à coup de matraque d'un étage à l'autre et qui, hébétés par la torture et les coups, ne savaient que murmurer en arabe les premières paroles d'une ancienne prière.
Mais, depuis, j'ai encore connu d'autres choses. j'ai appris la "disparition" de mon ami Maurice Audin, arrêté vingt-quatre heures avant moi, torturé par la même équipe qui ensuite me "prit en mains". Disparu comme le Cheick Tebessi, président de l'association des Oulamas, le docteur Cherif Zahar, et tant d'autres". (Pages 12-13)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire